La transformation digitale est un préalable à la transition énergétique, à la gestion des impacts sociétaux de l’intelligence artificielle. Elle doit faire l’objet d’un grand débat de société.

En juin 2018, la 12e édition de l’étude Ricol Lasteyrie-EY éclairait la situation en ces termes : « les entreprises de l’indice phare de la Bourse de Paris ont retrouvé la croissance, des marges confortables et des bilans solides, mais l’investissement a fortement chuté, à son plus bas niveau jamais mesuré ».

Dès que les marges se reconstituent, les groupes distribuent des dividendes et l’investissement demeure faible. D’ailleurs dans une économie digitale, fortement capitalistique, la part du travail dans la valeur ajoutée n’a pas baissé alors qu’elle a baissé dans tous les pays européens, si l’on se réfère à l’INSEE.

Enfin, l’étude PIAAC OCDE – de 2015 montre que le niveau des compétences numériques en France est au 15e rang sur 22, sachant qu’il ne s’agit pas de niveau scolaire, mais de capacités acquises au cours de la vie professionnelle.

Ces signaux montrent que la transformation digitale française est en panne, en dépit de l’activité de Bpi France, des investissements dans les startups, de la volonté politique. Qu’on se le dise : il n’y aura pas de transition énergétique sans transformation digitale au préalable.

Par exemple, la voiture sera électrique dans les zones urbaines, elle roulera à l’hydrogène pour les longues distances. Sans transformation digitale, il sera difficile, voire impossible, de répondre au défi logistique de la distribution.

La France risque de rejoindre le groupe des perdants de la mondialisation. D’autre part, aujourd’hui la souveraineté des nations se défend dans le cyberespace. Si la dissuasion nucléaire demeure une brique majeure de la défense nationale, elle fait figure de ligne Maginot face aux attaques cyber des pays comme la Corée ou la Russie.

Enfin, les transformations du travail amenées par l’Intelligence artificielle vont entraîner de profondes crises sociales dans une population écartées de facto par son faible niveau de compétences numériques.

La France connaît ces difficultés, car, avec Fayol, elle a été le précurseur du management d’entreprise. Elle a développé, lors de la 2nde révolution industrielle, une forte culture de ségrégation des tâches de conception et de réalisation. Ceci va à l’encontre de la culture digitale qui privilégie les circuits courts et les compétences multiples.

Si elle excelle dans certaines spécialités comme les mathématiques ou la physique, elle a toujours eu du mal avec les compétences ou les savoirs transverses. Pour cette raison, elle se montre incapable de développer des briques fondamentales de la chaine de valeur digitale, comme des offres PaaS-Big datèrent. Les entreprises françaises doivent utiliser les offres américaines et, à cause du Cloud Act, placer leurs données sous souveraineté américaine, ou bien poursuivre des hébergements « on premise » très rigides et plus vulnérables aux attaques cyber.

Enfin, le top management des entreprises manque de culture digitale. En comparaison, les champions américains du digital ont été créé par des informaticiens, qui, malgré l’arrivée des financiers indispensables dans des secteurs d’activité très capitalistiques, continuent d’inspirer leur évolution.

Tout n’est cependant pas perdu, la France est un pays centralisé qui, par le passé, à plusieurs reprises, a montré qu’elle pouvait regagner le terrain perdu. Elle l’a fait en 1945 en créant en quelques années les fondements d’un état moderne, elle l’a fait lors de la 2de révolution industrielle au début du siècle dernier, alors qu’elle était à la traine de l’Europe.

Que convient-il de faire ?

1/ Il est impératif de relancer l’investissement, notamment en baissant l’impôt sur les sociétés et en taxant les dividendes distribués de l’année pour retenir l’argent. L’investissement est la croissance de demain.

2/ Il faut réorienter l’éducation de nos élites en mettant davantage de technologie dans les enseignements de sciences politiques, sociales ou philosophiques et en axant nos ingénieurs excellents sur les savoir-faire transverses.

3/ Les administrateurs des grandes entreprises doivent exiger que les équipes de direction accueillent des informaticiens à côté des financiers, marketeurs, et stratèges. Cela permet de changer la culture de travail, de casser les codes, mélanger les compétences à tous niveaux et, finalement, de sortir de la culture de l’homme providentiel et entrer dans celle du groupe providentiel.

4/ Enfin, sur le plan sociétal, il est nécessaire de changer l’angle de vue, de ne plus considérer les individualités vis-à-vis d’un socle de compétences requises, mais favoriser la constitution de groupes de personnes avec des compétences diverses et complémentaires.

5/ Au regard de ces enjeux, la transformation digitale est un sujet sociétal fondamental qui mérite l’ouverture d’un débat à l’ensemble des citoyens. Il est urgent et important d’organiser ce débat, car de lui dépend l’indispensable transition énergétique qui, sans la transformation digitale, n’aura pas lieu sans d’insoutenables douleurs sociales.

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