L’arrivée du COVID-19 a provoqué une crise mondiale que d’aucuns, tel Antonio Guerres, secrétaire général de l’ONU, qualifient de crise la plus sérieuse depuis 75 ans. Ce contexte questionne la planète entière sur sa capacité à en affronter les conséquences au plan humain, économique, politique et financier. Les sociétés en voie de développement, au mode de vie essentiellement communautaire, craignent de lourds impacts sanitaires et alimentaires. Les sociétés occidentales, pour leur part, s’interrogent sur leur capacité de résilience et, notamment, sur le maintien de la production des biens et services indispensables, en particulier, ceux liés à la santé.

Ce n’est pas une guerre, puisque l’adversaire n’est pas un ennemi animé par la volonté de détruire ou de dominer, c’est une crise déclenchée par un phénomène naturel qui prend des dimensions catastrophiques à tout point de vue.

La France, en tant que 6ème puissance économique, est de plein pied dans la civilisation de la gestion du risque : risques financiers, sanitaires, militaires, alimentaires,… Ce vocabulaire a pénétré notre quotidien au fur et à mesure des consultations médicales, des plans de continuité d’activité qui se sont répandus dans toutes les entreprises, de la régulation financière qui a standardisé la mesure des risques, de la stratégie militaire et alimentaire. Les pouvoirs publics ont préparé des plans blancs, des plans orsec, épervier, et autres plans. Les entreprises ont préparé des procédures de gestion de crise qui incluent la mise en place de cellules spécialisées, mal nommées « war rooms », en référence au contexte militaire.

Le mathématicien français René Thom a identifié sous l’appellation « Théorie des catastrophes » des situations où un système physique échappe au régime de fonctionnement régulier, dans le but d’être capable de les anticiper et d’éviter qu’elles surviennent.

Nous affirmons être dans une civilisation du savoir et du progrès technologique où la raison, les faits, l’emporteraient sur les opinions, les convictions infondées, les idéologies.

L’irruption de la crise COVID-19 a mis à mal ces certitudes et provoqué une incompréhension qui s’est transformée en cacophonie générale, en sentiment de doute, en attitude de défiance, en expression de nombreuses critiques dont la presse se fait le fidèle relai. Comment est-on passé d’une société qui était, certes, traversée de débats et de doutes, mais qui était persuadée d’avoir les moyens d’y répondre, à une société où les acteurs ne sont plus sûrs de rien ? Où les grands médecins contredisent d’autres grands médecins, où les fleurons industriels d’hier, cmme Airbus, vacillent, où l’on exprime son désir d’en découdre avec un Etat que l’on considère avoir failli ?

Comment sommes-nous passés, en quelques semaines, de la civilisation du risque à la civilisation de la peur ? La cause n’est pas à mettre pas toute entière au crédit du COVID-19, le vers était déjà dans le fruit, notamment la perspective d’une crise future due au réchauffement climatique avait déjà commencé à dévoiler les quelques faiblesses, exposées au grand jour, aujourd’hui.

A ce propos, la lecture du livre de Marc Bloch, « l’étrange défaite« , écrit en 1940, est étonnante d’actualité et convainc que des contextes similaires, suffisamment proches, entraînent des réactions comparables en de nombreux points.

Dès le début de sa relation, Marc Bloch écrit « Cette guerre a dont été faite de perpétuelles surprises ». Il explique que l’état major français était incapable de prévoir les mouvements de l’armée allemande, celle-ci faisant la guerre du XXème siècle tandis que la première était demeurée au XIXème. Cela n’était dû ni à l’impréparation, ni à la négligence, mais à un savoir militaire hors d’âge, obsolète et au refus d’une réalité nouvelle. Comment justifier une décision en invoquant une théorie à peine connue, aux résultats jugés incertains ? Aucun soldat ne suivra un tel général, et, en cas de défaite, celui-ci sera voué aux gémonies, après avoir été couvert d’infâmie.

Nous avons assisté à l’occasion de cette crise au choc des savoirs, celui des méthodologues contre celui des cliniciens. Ceux-ci ont contribué abondamment à l’histoire de la Médecine tandis que les premiers ont injecté récemment dans cet art, les dernières techniques scientifiques. La vérité appartient probablement aux deux à condition qu’ils trouvent le moyen de s’accorder et de travailler ensemble.

L’état de stupéfaction et d’incompréhension, devant la surprise, entraine la honte, puis la colère, notamment chez les acteurs investis d’une responsabilité qui, de ce fait, doivent aux autres d’expliquer l’inexplicable. Ils sont responsables politiques, hauts fonctionnaires, chefs médecins, chefs d’entreprise, syndicalistes et, face à cette impossibilité, tous recherchent des boucs émissaires à travers tel membre du gouvernement, tel parti politique, tel responsable administratif… Le système médiatique et les réseaux sociaux en sont de parfaits amplificateurs qui battent leur plein.

Marc Bloch mentionne également l’impréparation des officiers sortant de l’école de guerre, des jeunes gens brillants, certes, maîtrisant comme personne la théorie militaire, mais sans aucun sens pratique. Mieux, cette illusion de savoir en a mené certains à refuser une réalité qui était contraire à leur apprentissage, et à prendre, en conséquence, des décisions erronées qui ont amplifié la défaite. C’est aussi le cas de notre société de brillants ingénieurs ou d’économistes qui ont appris toutes les théories sans en expérimenter aucune, et à qui on laisse penser qu’il sont dépositaires du savoir universel. Le chercheur qui se frotte quotidiennement à l’expérimentation, sait, lui, que ce n’est pas vrai, et qu’en général les théories sont très imparfaites.

Marc Bloch mentionne aussi les profiteurs, ceux qui cherchent à tirer avantage de la situation au plan financier, politique, mais aussi social. Ceux-là associent leurs voix aux autres pour accuser, récuser, dire a-posteriori ce qu’il aurait fallu faire, parfois mentir pour affoler, et mener les décideurs à opter en leur faveur. Dans la meute, la cacophonie, rien ne les distingue de ce qui voudraient faire entendre un semblant de raison, de vérité.

Ce qui est frappant dans ce parallèle d’avec la défaite de 1940 que Marc Bloch qualifie à juste raison d’étrange, c’est que les symptômes sont similaires alors que la gravité de la situation actuelle n’est pas comparable. Pourtant tous les corps sociaux, tous les acteurs économiques, tous les citoyens se sentent en grand danger, ils demandent à l’état de les protéger et, alors que celui-ci s’exécute, se plaignent de son action insuffisante.

Un autre élément frappant de ce récit est le passage où l’auteur déclare que cette étrange défaite avait projeté la France 40 ans en arrière. Il y a eu un exode massif, les gens ont abandonné les villes, ils se sont réfugiés dans les campagnes, fuyant l’industrialisation qui avait généré la guerre . C’est un peu ce que certains voudraient voir advenir aujourd’hui comme une bénédiction et un remède à un virus provoqué, d’après eux, justement par le progrès.

Quels sont les faits ? nous avons été victime d’une catastrophe épidémique qui est arrivée par l’est. Dès l’instant où le gouvernement a compris qu’il ne pourrait contenir l’épidémie, il a pris la décision d’un confinement national, avec les mesures financières d’accompagnement, certes insuffisantes mais réelles. Cette décision, extraordinairement difficile, n’aurait pu être prise si les pays voisins avaient été sur une autre ligne. L’Europe et le monde occidental a fait face. Aujourd’hui, tous les décideurs mondiaux sont convaincus que, sans mesure de confinement, un départ d’épidémie de COVID-19 peut rapidement être hors de contrôle et devenir catastrophique. S’il n’y avait pas eu ce foyer infectieux à l’Est qui s’est étendu dans l’Oise et dans le Sud de la Corse, nous serions probablement dans la situation de l’Allemagne ou de certains pays du Nord.

Nous semblons sanitairement être sortis d’affaire, bien que le glaive demeure au dessus de nos têtes. Pourtant les polémiques ne cessent d’enfler, la peur est présente. Les demandes de protection, de maintien de la situation de confinement se font toujours pressantes. Pendant que d’autres se barricadent et se promènent avec masques, gants et visières dans les rues, les familles excédées par l’isolement veulent reprendre un semblant de vie sociale.

Entre la peur des uns et l’inconscience des autres, il y a la voie d’observer la réalité. Au démarrage de l’épidémie, la prise de conscience qu’elle était hors de contrôle a été probablement tardive, mais pouvait-il en être autrement ? Si le son du canon ne parvient pas à nos oreilles, doit-on prendre les armes et partir en guerre ? Et puis, est arrivée la question des masques, une pénurie ? Non, beaucoup ont caché leurs stocks de masques de peur que l’épidémie se généralise, si bien que les autorités de santé publique ont été dans l’incapacité d’avoir un inventaire précis et d’organiser l’approvisionnement d’urgence des professionnels de santé des services hospitaliers à l’Est. Cette pénurie de fait a été amplifiée lorsque tous les personnels de santé de France, même ceux des régions non touchées par le virus, ont réclamé des masques à cor et à cris. Le défaut d’inventaire, les informations imprécises, l’incompétence de certains, les habiles saillies d’autres qui ont exploité la situation, ont jeté la suspicion sur la communication gouvernementale.

De même, le sentiment de dépendance à l’appareil productif chinois résulte de la croyance qu’une production locale aurait évité la pénurie de masques, d’appareils médicaux, et de médicaments. Tout industriel sait qu’aucune capacité de production ne peut doubler ou tripler en un instant, qu’il faut un délai d’une ou plusieurs années pour l’étendre. En vérité, face à l’épidémie et à l’accroissement vertigineux de la demande qu’elle engendre, les chinois ont fait des miracles dont nous serions bien incapables. Nous ne sommes même incapables de reconnaître que nous ne pouvons développer cette application StopCovid, une vérité impossible pour une société d’ingénieurs que pourtant l’Allemagne et la Belgique ont reconnu en utilisant les technologies d’Apple et de Google. Le déni de la réalité et le refus de remettre en question de notre vision du monde retarde l’issue de la crise.

Alors, que la première vague est passée, quel est réellement le risque pour un particulier ? Si l’on considère que le taux moyen d’infectés dans la population est de 5%, c’est ce qui ressort, en tous cas, des campagnes de tests de l’IMU de Marseille, on rencontre 1 personne infectée sur 20 en moyenne et si l’on demeure à distance respectable, rien ne peut se produire et si, par malchance on tombe malade, on a moins de 8% de chance d’avoir une forme sévère si l’on n’est pas une population à risque. Sans masque, avec les seuls gestes barrières, la probabilité de tomber malade est très faible, c’est ce que l’on observe grâce au confinement.

La question se pose différemment pour les personnes à risque qui, en cas d’infection, développeront surement une forme sévère ou bien décéderont comme les personnes âgées, elle se pose aussi de manière aigüe pour les professionnels de santé engagés dans les services hospitaliers. Pour autant, elle se pose avec moins d’acuité pour ceux qui traitent d’autres pathologies, et, avec un autre degré, pour la médecine de ville. Enfin, elle se pose pour ceux qui reçoivent du public, ce qui est déjà le cas des supermarchés. La crainte est l’apparition d’un nouveau foyer qui exige la prise de mesures contraignantes.

Dans ce contexte, de nombreuses voix s’élèvent, relayées par la presse, pour se plaindre de l’impéritie de l’Etat. Certains militaires du Charles de Gaulle l’ont accusé d’avoir mis en danger leur vie, les postiers ont exercé leur droit de retrait en se plaignant d’une protection insuffisante, le BTP est à l’arrêt pour les mêmes raisons, les établissements d’enseignement public vont rouvrir dans un climat similaire. Certains acteurs sollicitent même la justice contre l’état.

Pourtant, l’Etat a choisi une posture libérale, celle de jouer le rôle d’assureur en dernier ressort, il dégage des lignes budgétaires pour les urgences sanitaires, indemnise les dommages des entreprises et des travailleurs, et voudrait que les acteurs de la société civile prennent leur responsabilités. La loi PACTE les inciterait pourtant à le faire. Force est de constater que les entreprises rechignent à financer les risques sociétaux, la santé, la formation, la transition écologique et souhaitent en même temps une baisse de la fiscalité. Pourtant, elles constituent, par leur activité, le principal et le seul revenu de la Nation, celui qui doit justement financer la protection contre les risques de toutes provenances et payer les dettes.

Pour surmonter cette épreuve, la société française devra montrer sa capacité à regarder la réalité en face, à prendre ses responsabilités, à être solidaires, à s’entraider, à se protéger. Les entreprises ne peuvent survivre sans clients, consommateurs, travailleurs, fournisseurs, elles sont parties prenantes, de même, la société ne peut survivre sans les entreprises qui transforment le travail en produits et services, directement consommables ou échangeables contre des biens importés. L’état croit en cette vision moderne de la société, il aurait pu, comme en d’autre temps, déclarer un état d’urgence fondé sur la loi martiale et réquisitionné les moyens de chacun de manière autoritaire.

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