Joël de Rosnay (JdR) nous propose une croisière à travers les innovations technologiques du moment, en tisse les relations, et les projette dans un futur de moyen terme, afin de dessiner la société de l’avenir.
La lecture de « L’homme symbiotique » nous rappelle que la science n’est pas l’étude de phénomènes délimités qui tente de construire, du détail vers le général, un pan de la connaissance humaine, mais la construction d’une vision du monde, éthique, morale et opérationnelle qui trouve son fondement en produisant l’explication de phénomènes délimités auxquels elle parvient à donner une portée générale.
Le moteur principal du vaisseau sur lequel nous emmène JdR, est « la systémique », une méthodologie qui vise à décomposer les phénomènes en processus, à les classer et à identifier leurs interrelations. Cette démarche permet une approche transversale et pluridisciplinaire des phénomènes, en définissant un certain nombre d’invariants de structure, autant de points d’équilibre. JdR intègre à cette démarche générale des outils comme la théorie du Chaos, qui est une théorie de l’équilibre comme son nom ne l’indique pas, la géométrie fractale, l’approche énergétique du chimiste afin de réaliser un bilan des perspectives technologiques, politiques et géopolitiques, économiques et sociales de la planète.
De manière plus opérationnelle, JdR propose au lecteur la métaphore du Cibionte, espèce de superorganisme dont le cerveau est constitué de couples d’humains et d’ordinateurs, reliés par les réseaux de communication, et dont le corps est composé de la planète terre et des superstructures humaines. Au sein de cette vision, l’humain serait un élément neuronal qui, en symbiose avec l’ordinateur, formerait l’élément de base du Cibionte. D’où le titre, l’homme symbiotique.
JdR présente sa thèse en 3 partie :
La naissance du Cibionte. JdR nous démontre en s’appuyant sur les résultats des études menées sur les sociétés d’insectes, sur l’histoire du progrès technique et son impact économique et social, sur le progrès de l’informatique qui aboutit à Internet, que le phénomène global d’auto organisation planétaire converge vers l’apparition d’un superorganisme.
Vers l’homme symbiotique. JdR décrit le fonctionnement du Cibionte, démontre les mécanismes qui sont en train de former son cerveau et promettent d’aboutir à l’homme symbiotique : l’explosion des télécommunications, le couplage de plus en plus étroit entre l’homme et les machines : puces biologiques, nanomachines, …
Vouloir l’avenir. JdR nous projette dans un futur de moyen terme, décrit l’évolution du Cibionte, ce qu’il peut apporter à l’humanité, et les écueils qu’il devra éviter.
La base de la démarche de JdR repose sur les possibilités qu’ouvrent les technologies à l’humanité, et présuppose de manière positive que l’humanité ne peut que saisir ces opportunités. Ce discours est dispensé également par les marchands de technologies qui trouvent ainsi un cadre valorisant pour leur produits : « le progrès techniques est générateur de meilleur être, les innovations ne qu’il produit, ne peuvent qu’être adoptées ». Ce discours est d’autant plus séduisant qu’il s’entoure de valeurs libertaires, par exemple l’autoorganisation qui se passe de dirigeants, et promeut des régulateurs. Ce positivisme, largement diffusé par Nicolas Negroponte, et les équipe du MIT où JdR a séjourné et travaillé, rapelle le positivisme de l’ère industrielle.
JdR a le talent de trouver les bonnes métaphores qui rendent les explications, les démonstrations abordables, et associe le lecteurs au décodage de ce monde, qui quoiqu’on en pense, fait partie de notre environnement culturel. D’autre part, il démontre la large utilisation de l’approche systémique pour décoder les phénomènes complexes qui ont lieu au sein des organisations humaines, de l’économie politique, de la biologie, des entreprises.
Néanmoins, les revers récents que connaît la « nouvelle économie » porteuse de ces valeurs, apporte un contrepoint à cette vision idyllique, et semble favoriser la thèse suivant laquelle l’évolution humaine est aussi conditionnée par des croyances, des cultures qui n’ont rien de rationnel, mais participent à la maturation de notre société d’hommes. (voir Internet, et après ?)