Faut-il fusionner les deux acceptations du mot «Commerce» à savoir le terme général qui englobe le négoce, le troc et le trafic, avec le terme qui désigne la communication, la correspondance et le lien social ? Maurice Obadia tente de nous convaincre que ce second sens, en fait, est porteur de l’explication, du fondement et de la valeur de l’activité de Commerce. Au sein de l’économie de la relation, comme il l’appelle, les transactions matérielles ne sont qu’un aspect accessoire comparé à la richesse des échanges immatériels qui mettent en jeu les hommes.
En effet, seule l’économie de la relation possède la force de résoudre les questions essentielles de nos sociétés : l’exclusion, la complexité économique, une évolution rapide et permanente, le maintien des grands équilibres. La relation est un moyen d’action pour stabiliser et contrôler les situations de déséquilibre, propres à notre modernité, entre manque et surabondance, absences et répétitions. Elle amène une volonté partagée d’agir qui vainc les deséquilibres et qui constitue un miroir de la connaissance.
Pour penser l’économie de la relation, Maurice Obadia nous emmène revisiter les concepts de rationalité, de processus de production, de coût de production et de satisfaction. Ainsi, l’affectif et l’irrationnel viennent pondérer un raisonnement trop logique face à une situation complexe pour créer une rationalité composite. De même, il définit e processus de production de la relation comme visant à mettre en oeuvre un échange continu d’information qui réponde aux attentes des deux parties de manière équilibrée, en évitant les écueils de la duplication et de la répétition. Le coût de production de la relation doit être rapporté à la réussite dans la réalisation d’une relation positive, c’est à dire l’établissement d’un échange équilibré et continu entre deux parties. Si la relation est négative comme dans le cas d’échanges déséquilibrés, elle manquera l’objectif de satisfaire les deux parties et aura une faible probabilité de perdurer.
L’économie, et en particulier l’économie de la relation, vise la satisfaction des besoins des acteurs. La manière dont le modèle classique hiérachise les besoins ne correspond pas à la rationalité composite de l’économie de la relation. Il faut utiliser l’image de l’hélice où l’ensemble des attentes est intégrée à des degrés divers en tenant compte des évolutions, de la variété et de la variabilité des besoins des organisations humaines. Ainsi, la dynamique de la relation permet de maîtriser dans un contexte équilibré un degré de statisfaction qui oscille entre statisfaction et angoisse dans une sorte de cycle d’auto-apprentissage.
Finalement, la valeur de la relation réside dans la relation elle-même, dans la force du lien créé, dans son contenu et sa portée. La force du lien permet la stabilité dans un contexte en proie aux changements, alors que le contenu et la portée soutiennent la motivation et l’énergie que consacrent les parties à maintenir une relation positive.
Quelle part d’immatériel prend davantage d’importance dans l’économie contemporaine, l’immatériel primaire qui évoque des transactions sur des actifs intangibles ou un immatériel qualifié d’économie relationnelle fondée sur l’humain ?
La révolution engendrée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication a boulversé les modes de fonctionnemement des sociétés contemporaines. Il est devenu possible d’entrer en contact avec une multitude de clients, de faire du commerce et des affaires sans se déplacer. On peut apprendre, se former, se cultiver à distance, être informé en temps réel. Partant du constat que l’horizon de l’économie matérielle est bouché, beaucoup d’entreprises se sont lancé dans l’univers de l’immatériel. Nourrie des améliorations rapides amenées par les outils, cette évolution, basée essentiellement sur la séduction et la manipulation, est restée cependant confinée aux abords de l’économie matérielle, tel le Commerce Electronique qui tente de créer l’illusion d’une promenade, à propos d’un acte d’achat guidé, à la manière de certains supermarchés où l’on arpente plusieurs rayons avant de trouver le produit que l’on était venu chercher.
Dans nos sociétés tournées vers l’innovation, aux prises avec une destructrion créatrice, les hommes sont les premiers affectés, ils doivent se re-fomer, s’adapter, se remodeler ou subir l’abandon pur et simple. C’est par le tissu des relations entre les hommes anciens et nouveaux, par la complémentarité des savoirs que les entreprises occidentales peuvent espérer relever ces enjeux, dans les traces des entreprises Japonaises des années 70. La nouvelle économie des années 2000 est une tentative dans cette direction avec des réussites et de échecs, réussite du juste à temps, apparition d’un nouveau nomadisme qui fait écho au désir de liberté, échecs du trop vite, trop grand. Ce réseau de valeurs permet de décrypter les stratégies d’entreprises comme celle de Manessman s’alliant à Vodaphone dans la téléphonie mobile, celle de Preussag, sidérurgiste, rachetant Nouvelles Frontières, ou celle d’eBay rachetant à grands frais ses concurrents nationaux pour réaliser un réseau d’enchères transfrontaliers.
Cette économie demeure essentiellement une économie de l’information plus que de la relation. Elle est symbolisée par l’infrastructure d’Internet, formidable machine à traiter, à relayer et à partager l’information mais du seul point de vue technique. Internet ne voit que des flux d’information, il n’y rajoute aucune pensée, aucune émotion. Facilitant la duplication et les répétitions, il risque, à force de relayer des informations sans lendemain, de devenir un gigantesque bruit planétaire. Le nombre de prix Nobel est la preuve que l’information passionne les économistes. On compte, en effet, Simon en 78, Coase en 91, Nash en 94, Mirlees, Vickrey en 96, Akerlof, Spence, Stiglitz en 2001. A la différence de la relation, l’information est quantifiable, on peut lui affecter un coût, une rentabilité. Au même titre qu’elle constitue une matière première de la relation, elle est également le matériau du savoir au sein d’une société qui se targue d’être la Société du Savoir (Pyramide de la prospérité de Thurow). Pourtant, la presse de cette même Société met les feux sur les PDG, leurs salaires, leurs manipulations hasardeuses alors que les cerveaux responsables de l’innovation demeurent dans l’ombre. Cette nouvelle économie n’est pas encore l’économie de la relation.
A chaque stade de leur cycle de vie et en fonction de leurs préoccupations du moment, les organisations économiques prennent pour objectifs ou considèrent comme un moyen indispensable, une des valeurs suivantes :
? L’argent, le profit, la richesse monnayable peuvent être, en fonction des périodes et de l’acteur, finalité ou moyen.
? Le pouvoir économique qui consiste à pouvoir contraindre ou à pouvoir diriger, ou bien à être en mesure de rassembler, est généralement une finalité.
? Le développement économique peut être la finalité d’une diversité d’acteurs depuis l’Entreprise en passant par les villes, les régions voire les nations.
? Le progrès économique comporte l’idée de dépassement. Il ne peut se réaliser que partagé par une multitude.
? La réalisation égocentrée de l’acteur va puiser dans la relation de l’acteur avec lui même les objectifs à suivre.
L’économie est le fait d’un réseau d’acteurs chez qui on retrouve à des degrés divers chacune des valeurs précédentes. A l’exception de la valeur profit qui utilise la relation comme moyen, la relation en tant que telle a un impact direct sur la réalisation des quatre autres valeurs.
Porteur du gène de l’économie relationnelle, le management est, avant tout, une affaire d’êtres humains, et, est en cela, en contradiction avec l’économie matérielle. Maurice Obadia distingue les 6 types ou styles de management suivant :
? Conduire d’une main de maître est un style, plutôt à l’américaine, qui a l’inconvénient, en cas de disparition du leader charismatique, de laisser un vide difficile à combler.
? Mettre la main à l’organisation est un style davantage latin, fondé sur la compétence du leader, qui a le risque de produire une focalisation sur les spécialités et de biaiser les relations à cause de différences de niveau réelles ou formelles.
? Tenir en main l’organisation est un style dont la préoccupation essentielle est de produire de l’ordre au sein d’organisations humaines qui génèrent naturellement du desordre. C’est un management-contrainte qui ne favorise pas l’émergence de relations positives.
? Main basse sur l’organisation est un style pour qui les hommes sont accessoires et dont la finalité est l’argent. On notera que le paternalisme est une variante de ce style de management : dans ce cas, la finalité est l’appropriation des hommes.
? Manipulation est un style où l’on mène les hommes vers un objectif à leur insu. Cela demande une grande habilité de la part du manager, mais repose sur des principes contraires à l’émergence de relations positives, notamment la rétention d’information et l’introduction de biais dans le jugement.
? Mains reliées est un style qui, lorsqu’il réunit la complémentarité, l’action en commun et la main tendue, permet l’établissement de relations positives au sein des organisations humaines.
Selon la période que traverse une organisation, on rencontre un cocktail de ces 6 styles de management dans des proportions différentes avec, chaque fois, une dominante.
Ce livre est une réflexion originale et prospective qui s’interroge sur les traits fondamentaux du progrès économique. Il visite et met en perspective le phénomène de la nouvelle économie basée sur Internet et fixe un objectif de moyen terme : l’économie relationnelle. Plus que le moteur qui produira l’énergie de nos sociétés futures, l’économie relationnelle en formera aussi une éthique.