On parle beaucoup de la réindustrialisation de la France en opposant production industrielle et services, car on fonde une grande espérance sur la multiplication des usines afin de développer l’emploi et, par là, on espère apporter une réponse à la question du chômage. Or, on sait depuis longtemps que production industrielle et services sont les atomes d’une même molécule, ils sont indissociables. Pourriez-vous un seconde imaginer une voiture sans services de crédit, sans mis à jour d’ordinateur de bord, sans services d’avant-vente, de vente, d’après-vente ?
On constate que les clients se montrent au premier chef intéressés par les usages qu’eux-même font des produits, ou par ceux qu’en retirent leurs propres clients, les usages s’entendant dans le sens le plus large, y compris les aspects esthétiques émotionnels et sociaux. Par exemple, les énergéticiens faisant l’acquisition d’une centrale nucléaire sont d’abord préoccupés par la meilleure combinaison de produits et de services qui leur garantira une production continue d’énergie ; de même, les compagnies aériennes ne jaugent pas la technologie des avions, mais la combinaison de produits et services qui offrira le plus d’heures de vol ; tous souhaitent même que leurs fournisseurs basent leurs engagements sur cela. C’est la méconnaissance de cette logique qui a conduit à l’échec industriel de Concorde alors qu’il fut une prouesse technologique.
Traditionnellement, l’industrie est le secteur où l’espérance de gains de productivité est la plus importante, car l’automatisation des opérations peut y être poussée très loin. Il n’est pas rare de voir des usines ou des centrales énergétiques conduites par quelques personnes seulement. On le sait depuis longtemps, comme l’on sait que les gisements d’emploi se trouvent essentiellement dans les services qui requièrent davantage d’opérations réalisées par des personnes.
Si la question qui se pose aux gouvernants est de définir des politiques qui conduisent à une économie nationale équilibrée offrant un emploi à tous et répartissant équitablement la richesse, pour le chef d’entreprise, elle est principalement stratégique, son enjeu est la maîtrise de la chaîne de production et de distribution. Pour atteindre ces objectifs, la seule direction qu’il vaille de suivre, autant pour les PME que les sociétés au tableau du CAC40, est celle de l’entreprise digitale.
On constate que les filières de production sont complexes car les phases de conception et de production s’entremêlent, en mobilisant de plus en plus d’acteurs. Les biens et services sont en reconception permanente afin qu’un nombre toujours croissant soit intégré dans un même produit, cela requérant de trouver des compétences de plus en plus diverses. On nous dit que tout cela ne poursuivrait qu’un seul but : satisfaire le client. On le croirait volontiers car l’évolution industrielle de ces 20 dernières années a tendu vers une offre de produis de plus en plus personnalisés. Ce serait sans compter avec l’imperfection des Marchés et l’habileté des Directeurs Marketing qui ont limité le jeu de la concurrence. Le client est encore loin d’être anobli en chemin vers une royauté idéale.
Dans ce contexte relativement stable, les entreprises se sont axé sur le concept de canal à travers lequel elles ont développé avec une grande sophistication leurs capacités d’interaction avec le client, en priorité pour massifier leur relation client tout en maîtrisant leurs coûts. Aujourd’hui, cette approche s’avère rigide au regard de l’imprédictibilité de l’apparitition de nouveaux usages et de nouveaux type d’interactions qui constituent autant d’occasions d’entrée sur les marchés pour de nouveaux concurrents.
La plupart d’entre elles ne voient la digitalisation que du point de vue des infrastructures, progiciels, réseaux haut débit ou Datacenters. Or, Digitaliser l’entreprise ne revient pas seulement à connecter nos entreprises à des liaisons haut-débit, même si cela y participe grandement. L’objectif essentiel est d’accroître fortement l’utilisation des technologies de l’information pour créer, concevoir et produire les molécules de biens et de services adaptées aux usages des clients ou en capacité de se lier au sein de macro molécules en cours de construction chez des partenaires industriels.
Et cela concerne autant les PME que les grandes industries nationales. Par exemple, les producteurs de réacteurs nucléaires doivent faire le deuil de leur fierté pour leur belle technologie. Les réacteurs ne doivent pas être produits pour ce qu’ils sont mais pour leur capacité à s’insérer dans un dispositif qui garantisse aux clients l’usage qu’ils en attendent Ceci est valable pour les avionneurs ou les autres grands industriels, mais aussi pour les PME. Ce changement, on le constate, est difficile à réaliser pour tous, cela montre que le syndrome du Concorde n’a pas totalement disparu de France.
Pourtant il est urgent d’agir, car les technologies se diffusent malgré tout, les clients les achètent entraînant les cocoricos des fournisseurs alors qu’il ne démentissent pas le vieux constat de Solow à propos de leur impact inexistant sur les statistiques économiques, comme le taux de croissance de l’économie si important en ce moment. De nouveaux champions se profilent à l’horizon qui menacent de bousculer plusieurs de nos filières nationales.
Comment agir alors que les chefs d’entreprise ont massivement investi et continuent à investir dans les technologies, alors que le secteur des services autour des technologies de l’information est en croissance, alors que nous avons de très bons ingénieurs ?
Aujourd’hui les points clé de la transformation, ce sont les démarches, les méthodes, l’état d’esprit, les relations de travail. La balle est dans le camp des chefs d’entreprise et le jeu est difficile car, pour réussir, il faut réunir la totalité des ingrédients, n’en manquerait-il qu’un seul et le résultat n’est pas au rendez-vous. Quelle serait utilité d’une portière de voiture sans le reste ? Pourtant il n’est pas rare de rencontrer des commerciaux qui essaient de le faire croire…
Les chefs d’entreprise doivent refonder leur approche de la relation entre produits et clients, faciliter les conceptions et reconceptions du mix de biens et services pour atteindre ce qui importe réellement aux clients, adapter la chaîne de production en conséquence, gérer un réseau de partenaires et de chercheurs pour proposer des innovations qui vont ancrer le client à l’entreprise, lier le client encore plus étroitement aux processus de recherche, conception, innovation. Cela nécessite une transformation radicale de l’entreprise de la fonction Marketing, en passant par la production, les ventes, la recherche et les services. Elle bénéfiera alors de l’ensemble des technologies de l’information qui jaillissent du cloud computing.
La même question se pose au regard des collaborateurs de l’entreprise qu’ils soient employés, contractuels ou sous-traitants. Les implantations des entreprises se répartissent parfois dans le monde entier, certains collaborateurs sont itinérants, d’autres travaillent principalement chez eux. Les liens entre eux sont de plus en plus lâches et les collaborations s’effectuent de façon épisodique. Il est essentiel de refonder l’approche de la relation l’entreprise et entre ses collaborateurs en tenant compte de leurs contributions, de leurs tâches, mais aussi de la manière de les tenir associés à l’entreprise pour faciliter les épisodes de collaboration.
Aux côtés des chefs d’entreprise, pour les aider à conduire cette transformation complexe et difficile, de nouveaux métier doivent se développer comme celui du Designer d’Entreprise Digitale qui sait maîtriser les adhérences entre culture, approches de travail, état d’esprit, usages et technologies dans les contextes business actuelles, et qui sait proposer les scénarios de transformation adaptés. L’entreprise contemporaine a besoin d’un Designer comme une tour moderne a besoin d’un Architecte.
Cette transformation doit être un mouvement d’ensemble, national ou par filière métier, pour obtenir des résultat à grande échelle, car nous sommes dans une économie de la coopération. Certaines entreprises pourront influer sur leurs partenaires et tirer la transformation, d’autres auront la chance de profiter pleinement de leur propre mouvement.
France a beaucoup d’atouts, elle peut encore se mettre en marche. C’est une question de volonté de la part de chacun des acteurs, de l’Etat au niveau national, des entreprises leader de filières métier, des chefs d’entreprise eux-même. Il ne s’agit pas cette fois-ci de déployer des infrastructures, mais de changer nos approches, nos méthodes, nos comportements, nos idées, nos manières de voir. Pour réussir, nous devons miser sur nouvelles compétences et les développer, celles de Designer d’Entreprise Digitale.
je suis d’accord avec votre point de vue. Le digital est l’avenir de l’économie
J’aime bien le Designer ou l’Architecte de l’entreprise digitale, ou de l’entreprise tout court quand le digital sera la norme