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C’est un livre tourbillon, un carrousel de pages qui ne cessent de tourner, comme le dernier mot, « joie » qui invite à recommencer. Au cœur de l’ouvrage, on sent la palpitation de la terre que Michel Serres a arpenté sa vie durant : les fleuves, la Mer, les montagnes, les volcans. C’est une sorte de biographie de leur histoire commune, de son enfance de marinier sur la Garonne, de son passage jeune homme dans la Marine Nationale outre mer, de son séjour dans l’Himalaya. Cette terre féminine a le pouvoir de capter et d’amplifier la sensualité infinie qui naît dans la femme et qui s’avère être une formidable énergie de vie. Ses colères soudaines ont aujourd’hui des explications rationnelles liées aux déséquilibres qu’ont créés les hommes, car pour Serres, la terre s’apprivoise par les sens, le cœur, l’intuition autant de choses qui échappent à l’approche scientifique actuelle qui repose avant tout sur la logique et la rationalité.

Ce livre est un plaidoyer pour porter un autre regard à notre mère terre et adopter une autre démarche dans nos efforts à mieux la connaître elle et l’univers. Pour cela, Serres fait appel aux grands anciens, Empédocle et Archimède nommé par Pascal, prince des génies, mais aussi à Majorana. Empédocle pensait que la quiétude relative de la Terre était due à sa situation dans l’œil d’un tourbillon qui l’entoure. Il imaginait que l’univers était composé de quatre éléments, Terre, Air, Feu, Eau, mis en mouvements par les actions et les réactions de l’amour et de la haine. Empédocle avait gravit l’Etna pour entendre « la voix du feu haineux » et « la puissance de l’amour » qui unit toute chose, et puis il s’y était jeté. Bien avant Bateson, Empédocle pensait les choses en mouvements comme les composantes d’un même tout.

Il admire la facilité que possédait Archimède de mobiliser la puissance de la terre, par exemple la démonstration qu’il donna de tirer un navire avec un seul bras. Cela le rend-il suffisamment naïf pour reprendre l’épisode d’Eurêka rapporté par Vitruve et aujourd’hui contesté, comme celui des miroirs de Syracuse que la reconstitution du MIT n’a pas été capable de reproduire ?

Enfin, il admire la prescience d’Ettore Majorana qui, physicien surdoué de l’intelligence des profondeurs de la matière, entrevoyait la démesure de l’énergie nucléaire et qui, reculant, a organisé sa disparition.

Ce génie il le met sur le compte de la capacité des uns et des autres à saisir le langage de la terre, à l’écouter et finalement à commencer à le comprendre, car sur terre tout est en communication permanente. Ces codages, recodages, décodages donnent sa force à la vie, végétale, animale et humaine, dans une rage tourbillonnante d’amour et de haine, de sensualité et de mort qui participent de ce processus et mènent à une joie généralisée.

C’est livre cultivé, élégant, qui ne dispense aucun savoir, ne donne aucune réponse, c’est une agréable promenade avec l’auteur parmi les moments choisis de sa vie comme illustrations du sujet du livre. Il dispense un message simple, venant du cœur, aux citoyens baignés de scientisme et de technologies que nous sommes, pour être meilleurs nous devons apprendre ou réapprendre à écouter les messages de la terre comme déjà savaient le faire nos anciens.

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