Ni testament, ni leg à la postérité managériale, ni mémoires d’un homme qui souhaite explorer les questions en suspens d’une existence bien remplie, le livre de Jack Welch, dédié à l’ensemble de ses collaborateurs, sonne comme un dernier coup d’éclat d’un « Jack s’accroche ».L’argument du livre selon lequel Jack est un homme, un employé de GE, comme les autres, qui consciencieusement n’a fait que son boulot, de son mieux, et qui a joui d’un peu de chance ne tient pas à l’analyse. Jack Welch est un homme exceptionnel qui est allé cherché sa chance dans tous les recoins où elle se pouvait se trouver.

Ni un intellectuel, ni un homme de théorie, Jack, au fond de lui, est un amoureux de compétition (de bagarre ?). La victoire, elle vient comme une cerise sur le gâteau, un bonheur supplémentaire. Et dans le cas de Jack, elle vient. Opiniâtre, réaliste, désireux d’aboutir non pas au résultat, mais à un résultat qui permette d’avancer, Jack se révèle un véritable entrepreneur. Un concentré des meilleures vertues irlandaises!

En revanche, il reste discret sur un talent de séduction ou de persuasion que l’on devine hors du commun. Il se dit même un tantinet complexé par ses manières abruptes, loin de celles pratiquées dans les salons.

S’il est exact que la chance est un ingrédient de son ascension, notamment dans la stabilisation du nouveau plastique, le Noryl, son parcours est jalonné de coups de main, de soutiens de personnes plus ou moins proches, témoignant de sa capacité de persuasion et de son charisme. Paradoxalement, ses patrons directs semblent avoir eu des opinions nancées. Avaient-ils déjà détecté un serieux concurrent ? Résultat, à 32 ans, il est propulsé patron du Département des Plastiques de GE qui pesait alors $26 millions de dollars par an.

Jack, patron, s’attache à son équipe. Alors que les managers traditionnels essaient de maintenir un équilibre entre les talents de leur subordonnés et leurs propres objectifs de carrière, Jack, sur de lui, veux s’entourer des meilleurs et les mettre dans un contexte de travail propice à en tirer le maximum. Fort de ses résultats, il passe 3 ans après (1971) à la Direction de la Division Chimie et Métallurgie dont le chiffre d’affaire est de $400 millions. 2 ans après en 1973, il est promut directeur de groupe, avec un portefeuille d’activité de $2 milliards.

Lorsqu’en 1977 la succession de Reg Jones, le PDG d’alors, s’ouvre, bien que n’étant pas représentatif du moule GE, Jack fait partie des successeurs pressentis. Le processus de succession dure 3 années difficiles, pendant lesquelles Jack continue d’être Jack, doutant de ses chances, mais persuadé pour lui-même d’être le meilleur choix. Fin 1980, tout est bouclé, le conseil d’administration approuve à l’unanimité sa nomination. Et il découvre que Reg, loin d’être issu de l’establishment, a un parcours similaire au sien, d’imigré anglais ayant franchi tous les échelons les uns après les autres.

Une petite réflexion sur ce processus de succession qui a produit Jack Welch et Jeff Immelt : « A la différence d’autres entreprises, les PDG de GE ont été choisis au sein du sérail. Avantage, on sait à qui on a affaire. Inconvénient, cela peut mener à des démissions et donc à des pertes de cadres dirigeants. D’autres entreprises choisissent leurs PDG à l’extérieur, certaines sur l’argument que des CV prestigieux peuvent influencer positivement les Marchés Financiers. Avantage, le processus de succession est moins dur, et entraînera peut-être moins de démissions à court terme. Inconvénient, l’impétrant n’étant pas profondément imprégné de la culture d’entreprise, il connait plus de difficultés pour trouver des soutiens à une stratégie de mutations significatives. Quoiqu’il en soit, ou bien les cadres dirigeants ont l’étoffe de futurs PDG et ils partiront un jour ou l’autre, si leur entreprise ne leur propose pas ce type d’opportunité, ou bien ils n’en ont pas l’étoffe ou l’ambition, et ils restent. Le processus de succession d’une l’entreprise est un bon indicateur de l’étoffe des cadres dirigeants ».

Les premières années de « règne » de Jack sont consacrées à mettre en place une formidable dynamique de désinvestissements-investissements, mettant en oeuvre une stratégie de premier ou second par secteur d’activité. C’est une époque où le sens du réalisme, qualité ô combien primordiale du manager, l’améne parfois à désinvestir des secteurs profitables, mais trop éloignés du métier de GE. L’apothéose est le rachat de RCA, qui lui ouvre de nouvelles possibilités de consolidation. Dans le même temps, « Neutron Jack » révolutionne l’organisation de GE, mettant les hommes au centre, simplifiant la hiérarchie, facilitant la coopération et l’éducation. Il met en oeuvre les concepts de gestion des savoirs et d’entreprise apprenante, professé dès 1970 par Peter Drucker. Résultat : un groupe de plus en plus profitable, avec des parts de Marché en croissance et 1/5 des effectifs en moins. De l’idée à la mise en oeuvre, le chemin est ardu, tant les freins et les obstacles de tout ordre se multiplient : la presse de l’épargne pas.

Jack est fidèle à sa méthode initiale, travailler avec les meilleurs. Pour cela il met en oeuvre un système de sélection basé d’une part sur la méritocratie, et d’autre part sur un renouvellement continue des effectifs, les 10% moins performants quittant GE. Ensuite, il construit une filière de formation, basée sur la pédagogie par l’action, qui prend pour principal objet d’étude, GE, et qui produit des conclusions qui sont directement utilisées par GE. Enfin, parachevant sa vision, il met en place des court-circuits, permettant de s’affranchir des lourdeurs de la bureaucratie, et ouvre la voie de la libre circulation des idées. Les bonnes idées doivent être promues et réutilisées partout à l’intérieur de GE. GE devient un formidable laboratoire de projets, doté d’un processus de sélection bien huilé, qui débouche sur des réussites remarquables.

Jack est rapidement conforté dans ses convictions par la mutation de GE réacteurs nucléaires, qui initialement positionné sur un marché problématique, la construction de réacteurs nucléaires civils pour les US, s’est repositionné sur la marché de la maintenance et des services nucléaires avec succés : les meilleurs ont fait preuve d’une capacité d’adaptation hors du commun bien qu’initialement, la conception de réacteurs était dans la culture d’entreprise une activité noble.

Cependant, avoir confiance en soi, être réaliste, être entouré des meilleurs ne suffit pas. L’affaire de la banque d’affaire Kidder le prouve. Initialement une excellente idée destinée à renforcer la position et les revenus de GE Capital sur le marché des fusions/acquisitions, elle s’est révélée catastrophique dès lors que la culture d’entreprise était à l’opposée de celle de GE. Résultat : une structure de contrôle inadaptée qui engendrait des variations très importantes du profit. Même si le désengagement de GE s’est effectué dans de bonnes conditions, cela montrait qu’il fallait être vigilant, que le système avait des limites.

L’autre pilier du management en plus du réalisme, est l’intégrité. Quand bien même un PDG est conscient de son importance, un défaut dans les procédures de contrôle peut amener des situations difficiles. Parfois, le doute peut être jeté par le jeu d’une concurrence trop agressive, il faut alors se battre pour démontrer la vérité. Néanmoins, ce type de situation, amenant des doutes dans l’esprit des collaborateurs, peut détruire un travail construit de longue haleine. C’est une bagarre difficile, perdu d’avance, si l’on est pas intègre.

L’aventure de la télévision, à travers NBC, a passionné Jack. D’abord parce c’est avant tout une affaire d’hommes : un mauvais présentateur fait obligatoirement capoter la meilleure émission. Et les hommes passionnent Jack. La télévision est aussi une affaire de projets extrêmement risqués qui obtiennent en temps réel l’évaluation du public : 1 sitcom sur 8 gagne le succès du public. Jack place ses hommes, bouscule les habitudes, se bagarre, et parvient malgrè quelques revers à des résultats de tout premier plan, notamment dans un secteur aussi difficile que le câble.

L’évolution la plus marquante est l’internationalisation : GE a internationalisé son appareil de production et son management. Bien que ce fut un changement culturel radical et difficile, celui-ci a permis de conserver des niveaux de rentabilité de tout premier plan.

Cette évolution ne fut possible que grâce à l’initiative Six-Sigma qui a résulté en l’application des standards de qualité non seulement vis à vis des clients finaux, mais également vis à vis des clients internes pour les productions intermédiaires. L’initiative Six-Sigma traduit également un virage entre une orientation produit vers une orientation client, en maîtrisant les variations de qualité des produits et services délivrés.

L’évolution vers les services a été déterminante car elle a correspondu avec une rédéfinition des Marchés de GE, et ainsi l’ouverture de nombreuses opportunités d’affaires. Les services ont constitué le prolongement de l’orientation SIx-Sigma après la livraison du produit et renforcés l’orientation vers client.

Enfin, l’initiative la plus tardive a été l’e-business, sur deux axes :
le B2B, notamment sur les activités d’achat où elle a permis une meilleure mise en concurrence et une réduction des coûts d’administration du processus
? la numérisation, c’est à dire la disparition du papier dans tous les processus de gestion de GE, avec à la clé une réduction des coûts importante.

Jack nous livre alors en condensé tous les traits importants qui ont marqué son expérience de PDG :
? l’intégrité qui seule permet d’avoir la confiance des hommes pour des changements aussi importants qu’a connu GE pendant sa présidence
? l’entreprise et la collectivité : l’entreprise a un rôle social important, que seule une entreprise économiquement performante peut assumer pleinement
? donner le ton : le leader d’une organisation se doit de donner le ton, ce doit être un individu palpable sur lequel on doit pouvoir prendre exemple et non une photo dans un rapport annuel
? Maximiser les capacités intellectuelles de l’entreprise : utiliser au mieux toutes les compétences de chacun est une des missions les plus cruciales d’un PDG. Jack l’a mis en oeuvre avec la libre circulation des idées.
? Les hommes d’abord, la stratégie après. Ceci met en pratique l’idée de Von Clausewitz que toute stratégie vole en éclat dès les premiers engagement du combat. L’élément déterminant devient alors la qualité des chefs
? Une atmosphère informelle et conviviale : dans le cadre d’une entreprise de la taille de GE, c’est un élément essentiel qui permet d’atténuer les effets de la bureaucratie
? La confiance en soi : dans un contexte d’évolution, il faut avoir le courage d’accepter les changements et les idées nouvelles. Et ceci n’est possible que lorsqu’on a confiance en soi.
? La passion : la passion est la caractéristique des gagneurs, car ils se prennent plus au jeu que quiconque.
? Se dépasser : là aussi, pour une entreprise de la taille de GE, où la culture de la performance est basée sur un contrat entre l’entité et la direction matérialisé par un budget, celui-ci peut brimer ou démoraliser les équipes. La nouvelle politique de Jack est : « Foncez ! Nous vous évaluerons selon la performance du secteur et de vos concurrents ».
? Fêter les bonnes nouvelles : question d’atmosphère, la travail a ses contraintes et doit également avoir ses plaisirs.
? Aligner les récompenses avec les critères d’évaluation : cela paraît évident, mais c’est essentiel pour obtenir des résultats.
? La différentiation, facteur d’amélioration : forcer les gens à se différentier de la norme, c’est les pousser à progresser, c’est également éliminer les plus médiocre et donc globalement améliorer la qualité de l’effectif
? La libre circulation des meilleurs éléments : si l’on veut gérer des hommes et leur donner des opportunité, il est nécessaire d’encourager la circulation des meilleurs élements.
? L’évaluation permanente : se donner les moyens d’une évaluation permanente est un des piliers d’une organisation méritocratique.
? La culture cela n’a pas de prix : La culture d’entreprise est un ciment qui rassemble les valeurs communes des collaborateurs. Pour une entreprise de la taille de GE c’est essentiel. Pour les acquisitions, c’est un point critique, comme l’a montré le rachat de Kidder.
? La Stratégie : la stratégie doit être basée sur l’aptitude à réagir promptement aux changements au fur et à mesure qu’ils surviennent. Ainsi la stratégie doit être dynamique et basée sur l’anticipation.
? Les concurrents : dans l’exercice d’anticipation, il est nécessaire d’imaginer que les réactions des concurrents sont de très bon niveau. Il ne faut pas les sous-estimer.
? Le terrain : un PDG se doit d’être aussi sur le terrain.
? Marchés et mentalités : changer sa mentalité et régarder les marchés sous un angle nouveau peut ouvrir de nouvelles perspectives, comme dans les services.
? Initiatives et tactiques : le changement se pilote avec des initiatives, à durée de vie illimitée, avec un impact déterminant, et des décisions tactiques qui procurent des améliorations ponctuelles. Un PDG doit maîtriser les 2 aspects.
? Communiquez, communiquez : un PDG doit être le champion inlassable des initiatives et des projets à l’intérieur de l’entreprise.
? Les enquêtes auprès du personnel : savoir ce que le personnel pense, et où sont les vraies priorités est essentiel dans une entreprise de taille de GE.
? Réveiller les belles au bois dormant : une fonction qui n’atteint pas le niveau de performance attendu est en prise à un problème structurel. Il est nécessaire de résoudre le probléme en y affectant les meilleurs.
? Le PDG, directeur de la publicité : la responsabilité d’un PDG est de gérer l’image externe de son entreprise.
? Tenir les rênes lâches ou serrées : faut il intervenir ou laisser filer ? Une question difficile à trancher pour laquelle Jack s’en est remis à son instinct.
? Les croquis : Un outil de simplification et à la fois un support riche de réflexion. Finalement un outil pédagogique indispensable.
? Les relations avec les investisseurs : C’est un élément essentiel de la vie (de la survie ?) d’une enreprise. Jack y a mis les meilleurs.
? Barboter : Un mode de brain-storming qui a permis à Jack de résoudre en équipe des problèmes difficiles.
? Votre activité secondaire est la spécialité de quelqu’un d’autre : si l’on choisit de se concentrer sur son coeur de métier, toute activité devient principale. Si jamais, une des activités est considérée comme secondaire, il vaut mieux s’en séparer, car c’est l’activité principale d’un concurrent.
? Cultiver la vélocité : le chemin de la décision à l’action doit être court. A partir du moment où la décision est prise, il est nécessaire de la mettre en exécution rapidement, autrement cela peut indiquer que la décision n’est pas bonne où que l’on est pas sur de soi.
? Oublier les zéros : Quand on se lance dans un projet, quelque soit sa taille l’important c’est de le réussir. C’est à ce prix que GE a pu maintenir un esprit de PME au sein d’une multi-nationale.

Jack nous explique combien le Golf a compté pour lui. Est-ce à dire que c’est un sport nécessaire et indispensable à tout grand PDG ?

Le temps de Jack passe, et il doit se préoccuper du processus de sa succession. Bien qu’il ait tenté d’éliminer les inconvénients du processus, tels qu’ils les a connu, il n’en reste pas moins que ce fut un moment difficile, et notamment pour lui. Il a pris une décision au feeling. Incapable de l’expliquer, il est persuadé en lui-même d’avoir fait le meilleur choix.

Quand bien même, Jack s’est accroché quelques mois supplémentaires où il s’est affronté à la bureaucratie européenne dans le cadre de la fusion GE-Honeywell qui n’a pas abouti. Jack referme son livre sur le sentiment du travail accomplie et d’une destinée exceptionnelle.

Il reste que le témoin passé, la tâche de Jeff Immelt est à la hauteur du défi relevé par Jack. GE Capital a cru jusqu’à peser pour moitié dans GE. Le mariage des activités financières et industrielles ne va pas de soi, car les risques sont différents. L’activité industrielle étant frappée par la conjoncture, le Marché fait pression pour une séparation des activités et donc un morcellement de division de GE. Comment Jeff va-t-il relever le défi ?

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