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Philippe Juvin déclarait récemment dans le monde : « L’inculture scientifique des élites françaises a des effets profonds sur la conduite des affaires de l’Etat ». Philippe Juvin est professeur de médecine, médecin réanimateur et homme politique. Bien qu’on ne puisse douter de son excellente culture scientifique, je me suis interrogé sur le sens que donnait Philippe Juvin à cette expression. Le contexte de son intervention évoquait l’exemple de la startup Valneva qui, ayant développé un vaccin contre la Covid19 à base d’adjuvants, n’a pu le vendre qu’à Brahein et pas en France.

Est-ce vraiment un indicateur de bonne culture scientifique que d’être capable de détecter la biostartup la plus prometteuse de France ? On se souvient qu’en son temps, le président Giscard d’Estaing, à l’excellente formation scientifique, avait cru à tort dans la promesse des avions renifleurs. S’il s’agit de mieux penser, pourquoi n’invoque-t-il pas l’esprit critique qui est sensé avoir les vertus qu’on attend de la culture scientifique ?

La culture peut-elle jouer un autre rôle que de créer un contexte favorable à la pensée, par exemple, en fournissant les citations et références qui ornent les discours et qui, sans elles, paraitraient hors sol, à contre courant de ce qui est communément admis ? Si la culture permet d’ancrer les nouvelles idées dans l’opinion commune, elle favorise, dans une certaine mesure, le conservatisme au point que certains pensent qu’il est parfois nécessaire de renverser la table, de tout déconstruire pour pouvoir mieux reconstruire. Le procédé paut s’avérer aventureux car il entraîne une perte imprévisible et inquantifiable de savoir.

La culture n’appartient pas aux individus, elle est appartient à un groupe ou à un pays, elle est ce qui relie les individus au groupe ou au pays. Elle n’est pas destinée à changer fondamentalement. Ce n’est pas le cas des convictions qui appartiennent à chacun d’entre nous. Et la science est une somme de convictions, pour partie, validées par l’expérience, et dans ce cas, élevées au rang de vérité scientifique. Le fait que tous les corps tombent à la même vitesse car accélérés identiquement est une conviction prouvée par l’expérience. Le fait que la vitesse de la lumière est la vitesse structurellement limite de l’Univers est une conviction non prouvée bien qu’étant une hypothèse fondamentale de la théorie de la Relativité Générale.

Avoir une culture scientifique signifierait-il d’avoir des convictions basées sur les résultats de la Science ? Peut-être ! Dans ce cas-là, on peut s’interroger sur l’utilité de ces convictions pour les hommes et les femmes politiques.

Prenons le cas de la Covid-19 et jetons quelques hypothèses :

  • H1 : la covid 19 est une grippette, il n’y a pas lieu de la craindre
  • H2 : la covid 19 est une pandémie dont les circonstances peuvent être graves pour la population d’un pays
  • H3 : la covid 19 est sérieuse pour les personnes à risque seulement

Faisons quelques observations:

  • O1 : lors des vagues de contamination, nous avions sur 3 ou 4 mois de +30%, 20% et 10% de mortalité en plus en comparaison des mêmes périodes de 2018
  • O2 : 30% de mortalité en plus correspond à la surmortalité de la grippe saisonnière en 1 mois
  • O3 : 90% des décés concernent les plus de 65 ans
  • O4 : la Covid 19 est 23 fois plus mortelle que la grippe (0,10% et 2,3%)

Est-ce que l’hypothèse H1, sachant les observations O1,O2,O3,O4 est acceptable ? A priori, on voudrait répondre non. Cependant, on se remémore les débats suprenant qui ont animé le pays.

Posons la question dans l’autre sens. Est-ce que les observations O1,O2,O3,O4 sont vraisemblables sachant que la Covid n’est qu’une grippette ? L’hypothèse O2 donne une partie de la réponse, l’hypothèse O1 signifie environ 40 000 morts supplémentaires en période de vague de contamination. Toutes ces observations seraient étonnantes en période grippe saisonnière. Admettons qu’elles auraient 1 chance sur 20 d’être constatées lors d’une grippe saisonnière sévère, en prenant comme référence 2014 où la grippe a occasionné environ 20 000 morts. Admettons que nous conservions malgré tout la conviction qu’il s’agit d’une grippe saisonnière, avec une force de 70%.

Puis faisons la même chose pour les autres hypothèses. La vraisemblance des 4 observations avec l’hypothèse 2 est haute, nous l’estimons à 90%, mais nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une pandémie, d’où notre conviction est à 10%

Enfin, on estime aussi une forte vraisemblance des observations avec l’hypothèse 3 et nous estimons notre conviction dans cette hypothèse à 20%.

Le calcul nous donne : H1 : 1/20*70% = 3,5% H2 : 90%*10% = 9% H3 : 90%*20% = 18%

Si l’on combine les 3 résultats pour l’hypothèse 1 : 3,5%/(3,5%+9%+18%)=11,5% pour l’hypothèse 2 : 30% et pour l’hypothèse 3 : 59%

La probabilité que, malgré la conviction initiale que la Covid 19 soit une grippette est de 11,5%, C’est l’application de la formule de Bayes qui permet d’intégrer des points de vues différents au regard des observations et d’en tirer une conclusion, ici qu’il y 11,5% de chance que l’hypothèse 1 soit vraie, compte-tenu des observations. Le score de l’hypothèse 2 s’explique par la faible conviction à priori. A la suite de ce raisonnement, il est légitime de modifier nos convictions à priori, l’hypothèse 2 verrait dans ce cas, augmenter significativement son score.

Aucune notion scientifique est produite par ce raisonnement, il s’agit juste de suivre une démarche rigoureuse d’évaluation des propositions au regard de ce qui est observé. Une évaluation grossière permet déjà de resserrer la réflexion à condition d’accepter de réévaluer ses convictions à priori ou ses préjugés. Mieux que la culture scientifique, c’est la formule de Bayes qui devrait faire partie du bagage de tout homme ou femme politique.

 

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