La France, une économie de services

En 1973, à l’occasion du premier choc pétrolier, la France découvre les faiblesses structurelles de son économie, elle connait alors une situation de stagflation, c’est à dire de forte inflation sans création de richesse. Le réveil est difficile, la France s’est reposée trop longtemps sur ses lauriers : l’appareil industriel est obsolète, les services ne sont pas développés. Le président de la République de l’époque, Valery Giscard d’Estaing, s’attelle enfin à la tâche de moderniser l’économie française, lui qui avait été aux Finances sous les précédents présidents, et qui, par là, portait une partie de la responsabilité de la situation actuelle. Il restructure et resserre les industries lourdes et lance ou pérennise des projets industriels innovants : nucléaire, télécoms avec le minitel, TGV. Cela vise aussi à terme de rendre la France moins dépendante au pétrole.

Cela aboutit, pendant 35 ans, au douloureux transfert de 2,8 millions d’emplois industriels vers les services, les administrations et la santé (chiffres de 2017 – source INSEE), sans compter l’installation d’un niveau de chômage élevé.

Les caractéristiques classiques d’une économie de services sont des revenus proportionnels à la main d’oeuvre et des gains de productivité faibles. En revanche, cette économie consomme un volume de capital très modéré et pèse moins sur les taux d’intérêt. Comme elle consolide les revenus, la croissance de l’économie est tendanciellement proportionnelle à la population active, à condition que tous les services produits soient consommés. La structure de l’économie française est bien entendu plus complexe que cela, mais c’est une dominante qui nous permet d’identifier les grandes forces à l’oeuvre.

Une économie de services centré sur la relation

Si le modèle idéal de Valérie Giscard d’Estaing était les Etats-Unis, à cet égard, il a échoué. En effet, l’économie de service française s’est focalisée sur une économie de la relation, le savoir être avant le savoir-faire. Cela a conduit la France à abandonner une des capacités fondamentales de l’industrie, la gestion de la qualité, qui a comme objectif, l’excellence. L’excellence en qualité n’est pas la performance, c’est la capacité de définir des standards de qualité très précis et de s’y conformer en permanence. Je me souviens d’un chef d’entreprise pour lequel j’avais travaillé qui disait tout le temps, « pas de sur-qualité, cela entrave les coûts et la compétitivité ». En vérité, cette phrase n’avait pas de sens, car, soit on délivre le service tel qu’il est vendu, c’est la gestion de la qualité, soit on pense que le client accepterait des défauts en tenant compte d’un prix bas, c’est la tendance actuelle. Ne vaut-il pas mieux produire un service qui réponde à l’exigence de prix du client (design to cost) et livrer un service de qualité ? C’est la base du modèle low-cost qui, vous le noterez, ne s’est pas développé, à l’origine, en France. L’abandon de l’excellence amène ce type de raisonnements délétères.

Les conséquences de l’abandon de l’excellence touchent l’enseignement pour lequel la maîtrise de la qualité étant moins exigée, cette matière s’en trouve moins suivie dans les universités, et dans les écoles de commerce et d’ingénieur. Comme elle est moins mise en oeuvre dans les entreprises, elle connaît aussi un déficit d’expérience professionnelle. Au niveau individuel, on se complaît dans un discours pseudo « lean », c’est à dire « juste ce qu’il faut, juste à temps ». En définitive, rien n’est produit, même pas un relevé de décisions en fin de réunion. C’est une posture très générale avec la fausse idée qu’elle générerait de moindres coûts.

Le numérique, révélateur de l’erreur

Aux Etats-Unis, l’économie de services s’est bâtie sur des bases industrielles. La qualité est au centre de son fonctionnement. Les cadres normatifs, à ce propos, ont tous une origine outre-atlantique. Un des premiers exemples a été la Banque et la Finance qui, s’appuyant sur les technologies numériques, se sont « industrialisées » très tôt. Le mouvement a été largement suivi dans d’autres secteurs : par exemple, le conseil, exemple de service s’il en est, s’est aussi « industrialisé » aux Etats-Unis, et de ce fait, s’est largement exporté, à la différence des sociétés de conseil nationales qui n’ont guère dépassé les frontières de l’hexagone. Ce n’est pas un hasard si les géants du numérique se sont développés aux Etats-Unis, et que seule l’Allemagne a pu prétendre exister dans ce domaine.

Que veut donc dire « industrialisé » pour un service ? C’est utiliser les machines numériques, aujourd’hui y compris l’intelligence artificielle, pour automatiser la production de ce service et la rendre moins dépendantes des personnes. C’est la capacité d’établir des standards, de les faire accepter et de les suivre. Cela permet d’entrer dans un modèle économique industriel permettant des gains de productivités et des effets d’échelle. Et donc, par effet de consolidation, une croissance économique plus forte. A cela s’ajoute le fait que dans le secteur du numérique, les rendements sont globalement croissants, c’est à dire que les marges augmentent au fur et à mesure que l’on vent ce que l’on produit, c’est tout l’enjeu de l’industrialisation des services. Cette promesse de marges croissantes porte la valorisation des entreprises américaines du secteur, ce qui tient l’investissement à un niveau élevé, phénomène que l’on ne connait pas en France et dont souffre nos startups.

L’abandon de l’excellence, d’une vision industrielle des activités de services, conduit, à terme, au déclassement de l’économie française, non seulement vis à vis des Etats-Unis, mais aussi vis-à-vis de tous les pays qui cultivent cette vision, comme l’Allemagne, ou plusieurs pays d’Asie, y compris la Chine.

Que faire ?

Même si elle produit massivement des services, nos économies sont essentiellement industrielles. Il faut remettre la qualité au centre des savoir-faire et des savoir-être. Jack Welch, en son temps, avait réussi à transformer General Electric, et à en faire une entreprise mondiale de premier plan en mettant la priorité sur la qualité (la méthode Six Sigma).

Cela aurait l’avantage :

  • de changer le profil de l’économie nationale, et ouvrir la voie à un surcroît de croissance. On a besoin de croissance pour financer la transformation écologique
  • Faciliter l’exportation des services et des biens, car tout bien est, de nos jours, vendu avec des services. L’excellence permettra de mettre à niveau les services pour les rendre plus exportables. Aujourd’hui peu de secteurs y parviennent, un bon exemple est le secteur bancaire et financier qui a su faire face à cette complexité.
  • Donner aux collaborateurs des entreprises une culture du travail bien fait, de l’amélioration continue, de leur importance dans la chaîne de réalisation et de transformation des services
  • In fine de faire émerger de nouveaux champions

Impulser ce changement ne peut se faire sans l’aide de l’Etat, notamment s’agissant d’éducation. On se gausse de la qualité des professions de services à haute valeur, comme les médecins, les avocats, la haute fonction publique. Or, en poussant le regard plus loin, on s’aperçoit que ces professions sont déjà touchées de plein fouet par l’industrialisation des services et, si la France devient un village gaulois pour ceux-ci, ce sera encore une cause de déclassement. Il faut donc généraliser cette culture de l’excellence dans les filières d’enseignement de tous les secteurs. En faire aussi un sujet de recherche pour les chercheurs et experts du management, comme des domaines techniques, comme la médecine ou le droit. L’Etat peut aussi donner des coups de pouces aux entreprises qui entreprendraient une démarche volontariste.

Cela ne suffit pas, la société civile doit s’emparer du sujet. Le MEDEF et la CGPME doivent valoriser les patrons qui se lancent dans la mise à niveau de leur entreprise, et, à cet égard, favoriser et valoriser les retours d’expérience. Les syndicats de travailleurs doivent aussi tenir compte de cet aspect et pousser leurs adhérents à travailler au sein des entreprises sur l’approche qualité.

C’est un sursaut national qui est nécessaire pour ramener la France au niveau de ses ambitions internationales et devenir un leader de la transformation écologique et de la démocratie.

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