Nous avons vu dans le post (les gains de productivité sont la conquête du bonheur) que les gains de productivité, en générant des surplus, ouvraient la voie de l’innovation. Sans les gains de productivité rendus possibles par la machine à vapeur lors de la 1ère révolution industrielle ou par l’électricité lord de la 2nde, les nombreuses innovations que nous utilisons aujourd’hui n’auraient jamais vu le jour. La révolution industrielle actuelle est basée sur l’information, elle a encore de nombreuses promesses à libérer. Nous avons vu dans le post (les prix, les entreprises et l’innovation) que, du fait de l’organisation des marchés, les surplus générés par les gains de productivité des agents économiques sont captés par une partie des entreprises. De ce fait, les entreprises, plus que lors des autres révolutions industrielles, ont un rôle majeur à jouer dans les transformations industrielles que doivent réaliser nos sociétés mondiales, notamment pour relever les défis liés au climat, à l’environnement et aux rè gles sociales.

L’entreprise est le relai idéal d’une transformation effective économique et culturelle de nos sociétés. En effet, elle intervient à deux niveaux.

  • Au niveau individuel, car chaque travailleur est intégré dans une hiérarchie du travail, liée à ses savoir-faire et à ses compétences, en même temps qu’il travaille pour les propriétaires, actionnaires, de son entreprise. Il les oriente et les aide, à son niveau et selon ses compétences, à mettre en oeuvre la stratégie qu’ils ont décidée, tout en se conformant aux normes, bonnes pratiques et code déontologique de son métier.
  • Au niveau de l’entreprise, car en tant que personne morale, elle doit soutenir et appliquer les choix sociaux et environnementaux du pays dans lequel elle opère. Ce sont des obligations législatives et réglementaires, de plus en plus contraignantes lorsque le droit s’affranchi de la territorialité

L’éthique des entreprises est devenue une exigence forte quoique récente des sociétés occidentales. Au cours des années 70, avec la mondialisation, celles-ci se sont transformées, et ont voulu répandre les valeurs humanistes et universalistes à l’ensemble de l’humanité. Par le truchement des ONG, des corps sociaux intermédiaires, ou directement, les citoyens ont exigé et exigent toujours que les activités économiques tiennent compte des priorités nationales, notamment au plan social, vis-à-vis des discriminations, quelles qu’elles soient, au plan environnemental et climatique, au plan de la lutte contre la corruption et le blanchiment. Fréquemment, la loi les y oblige.

Aujourd’hui, l’exigence va au delà de la seule conformité aux objectifs fixés par la nation. Les citoyens veulent que les agents économiques et notamment les entreprises soient parties prenantes des objectifs politiques nationaux et transnationaux.

Les entreprises ne doivent pas simplement mettre en conformité leurs processus de production avec de nouvelles normes, les sociétés attendent d’elles qu’elles se joignent au mouvement, et créent de nouveaux produits et services qui soutiennent la transition énergétique, la récupération, la gestion des déchets, la frugalité de ses clients. L’investissement est gigantesque, d’autant plus qu’il s’accompagne d’un désinvestissement tout aussi grand d’activités existantes et rentables. Le secteur automobile donne un exemple flagrant de la violence du changement à entreprendre, et il n’en est qu’au commencement.

Pour y parvenir, le système financier doit se réformer en profondeur. Les entreprises qui captent les surplus générés par les gains de productivité doivent les réinvestir massivement, au détriment des dividendes. J’avais montré dans un post précédent (la transformation digitale en panne ) l’importance des investissements et l’effet néfaste des dividendes. Notamment, ceux-ci ne doivent pas servir à acheter des actifs immobiliers et contribuer à gonfler davantage une bulle qui n’arrête pas d’enfler en stockant une partie de la richesse du pays. Cependant, sans un système financier performant, qui fluidifie la circulation des capitaux et permet d’investir là où cela est nécessaire, l’effort de quelques uns est voué à l’échec. sur ce plan, La France à du chemin à parcourir, la spécialisation en asset management, n’est pas la plus adaptée pour accompagner le développement d’activités économiques industrielles. On en connait les difficultés avec nos startups.

Certaines étapes du chemin sont jalonnées. Pour orienter leur engagement, le législateur, avec la loi PACTE, a déjà permis aux entreprises d’inscrire leurs objectifs éthiques, sociaux et environnementaux, dans leurs statuts. Quelques unes l’ont fait, comme récemment KPMG France. Elles devraient le faire toutes. Au niveau international, une nouvelle discipline du droit, le droit de la compliance, basé sur ces principes, (cf les buts monumentaux de la compliance) sert de fondement à l’établissement des normes de régulation, nationales et transnationales.

Les entreprises ne sont rien sans les hommes. Le défi de la transformation des compétences est immense. Elles sont évidemment parties prenantes du système de développement des compétences des métiers, mais insuffisamment engagées. Elles investissent peu dans les cursus professionnels, l’apprentissage est faible, les cursus d’excellence au delà de la formation initiale scolaire sont inexistants ou ignorés, sauf dans les professions réglementées, comme le secteur médical, l’aviation ou le droit. Les entreprises ont délégué cette mission à l’éducation nationale dont le rôle n’est pourtant pas de définir les l’état de l’art des pratiques d’une profession. Il faut en terminer avec cette vision passéiste, uniquement financière, du travailleur marchandise à la disposition des entreprises contre rémunération, elles ont la responsabilité de faire évoluer les compétences des hommes et les femmes. Ce sujet est au cœur des questions soulevées par les livreurs à vélo et les chauffeurs Uber. Sans compétences suffisantes, l’investissement demeurera stérile, c’est le problème rencontré lors de la construction des EPR.

Enfin, il faut revoir la notion de valeur qui conduit certains à capter massivement les surplus des autres agents économiques, entreprises ou particuliers. La notion de richesse dans la théorie économique classique repose sur l’accumulation du capital qui profite à son détenteur, l’actionnaire, qui en retour a le droit de se verser des dividendes, aboutissant souvent sur le marché des actifs immobiliers. Il faut changer de point de vue et étendre l’accumulation au savoir-faire, à la connaissance, tous les facteurs qui mènent à l’optimisation de la production et qui sont le fait des travailleurs de l’entreprise. Cela rejoint le concept d’expérience formalisé par Bruce Henderson par le BCG et largement utilisé pour définir les stratégies des entreprises. A ce titre, une partie de l’accumulation du capital, lié aux facteurs immatériels, doit revenir aux travailleurs.

La redistribution plus large des gains des surplus est indispensable pour permettre aux agents économiques d’acquérir les nouveaux biens et services, sans clients, c’est la surproduction. Cela en outre aura l’avantage de resserrer les rangs de sociétés occidentales agitées par les inégalités et le sentiment d’injustice sociale. Chacun doit pouvoir participer à ce mouvement formidable, sans cela, la réussite sera aussi douloureuse que l’échec, car elle conduira a des sociétés autoritaires dont les perdants seront les plus fragiles.

Toutes les entreprises doivent prendre part à ce mouvement. En se généralisant, voire en devenant la norme, cela amènera à un réajustement des rémunérations et des prix de sous-traitances sans distordre la concurrence. Les entreprises qui souhaitent continuer dans la voie actuelle, souffriront des désinvestissements massifs, disparaîtront ou presque, à l’exemple de Nokia ou de Kodak.

Aujourd’hui, aucune entreprise ne peut s’affranchir de réfléchir et surtout de décider de ses engagements éthiques au plan individuel et sociétal. Elle doit comprendre le mouvement d’ensemble dans lequel, elle est plongée. La stratégie ne peut plus être uniquement le profit pour le profit, bien qu’il soit utile pour investir, elle doit être, le profit pour quels objectifs éthiques, pour quelle société future. En affichant ses objectifs et sa stratégie, l’entreprise transforme ses liens avec ses clients, ses fournisseurs, ses financeurs. De ce fait, les objectifs éthiques deviennent aussi une partie déterminante de la stratégie en ce qu’ils influent de façon décisive sur la trajectoire future de l’entreprise.

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